Les démonstrations des inégalités qui se rapportent aux nombres cardinaux font appel, à plusieurs reprises, à l'axiome de M. Zermelo. Nous ne savons pas démontrer sans l'aide de cet axiome que, par exemple, pour les nombres cardinaux $\mathfrak{m},\mathfrak{n}, \mathfrak{m}_1, \mathfrak{n}_1$, les inégalités $$\mathfrak{m} < \mathfrak{n} \quad\text{et}\quad \mathfrak{m}_1 < \mathfrak{n}_1$$ entraînent l'inégalité $$\mathfrak{m}+\mathfrak{m}_1 < \mathfrak{n} + \mathfrak{n}_1,$$ ou quelles entraînent l'inégalité $\mathfrak{m}\mathfrak{m}_1 < \mathfrak{n}\mathfrak{n}_1$; ou bien qu'elles entraînent l'inégalité $\mathfrak{m}+\mathfrak{m}_1 < \mathfrak{n}\mathfrak{n}_1$. On peut cependant démontrer, en évitant tout appel à cet axiome, que les inégalités $\mathfrak{m} \leq \mathfrak{n}$ et $\mathfrak{m}_1 \leq \mathfrak{n}_1$ entraînent les inégalités $$\mathfrak{m}+\mathfrak{m}_1 \leq \mathfrak{n} + \mathfrak{n}_1, \quad \mathfrak{m}\cdot\mathfrak{m}_1 \leq \mathfrak{n}\cdot \mathfrak{n}_1, \quad \mathfrak{m}^{\mathfrak{m}_1} \leq \mathfrak{n}^{\mathfrak{n}_1}.$$ ainsi que, pour tous les nombres cardinaux $\mathfrak{m}$ et $\mathfrak{m}_1$, que les inégalités $$2^{\mathfrak{m}} > \mathfrak{m}, \quad \mathfrak{m}+\mathfrak{m}_1 \geq \mathfrak{m}, \quad \mathfrak{m}\mathfrak{m}_1 \geq \mathfrak{m},$$ subsistent; enfin que, pour les nombres cardinaux non finis, 1'inégalitél>'inégalité $\mathfrak{m}+\mathfrak{m}_1 \lt \mathfrak{m}\cdot\mathfrak{m}_1$ est vérifiée.20
Nous ne savons non plus démontrer sans l'aide de l'axiome de M. Zermelo qu'une somme de deux nombres cardinaux non finis ne peut être en même temps supérieure à chacun de ces deux nombres21 M. S. Lesniewski a observé que de ce théorème résulte, sans l'aide de l'axiome de M. Zermelo, la trichotomie (c'est-à-dire le théorème d'après lequel deux nombres cardinaux quelconques peuvent être réunis par l'un des signes suivants $\gt,=,\lt$).
Admettons, en effet, le théorème en question. Soient $\mathfrak{m}$ et $\mathfrak{n}$ deux nombres cardinaux donnés. Il suffira, évidemment de considérer le cas où les nombres dont il s'agit ne sont pas finis puisque, dans le cas contraire, la trichotomie est immédiate. D'après le théorème que nous venons d'admettre, on ne peut avoir à la fois $\mathfrak{m}+\mathfrak{n} \gt \mathfrak{m}$ et $\mathfrak{m}+\mathfrak{n} \gt \mathfrak{n}$; il subsiste donc au moins l'une des égalités $\mathfrak{m}+\mathfrak{n} = \mathfrak{m}$ et $\mathfrak{m}+\mathfrak{n} = \mathfrak{n}$ dont la première donne $\mathfrak{m} \geq \mathfrak{n}$; la seconde donne $\mathfrak{m} \leq \mathfrak{n}$.
Quant à la trichotomie, observons que nous ne savons pas la démontrer d'une autre manière qu'en nous appuyant sur le théorème de M. Zermelo d'après lequel, pour tout ensemble $E$, un ensemble bien ordonné existe ayant la même puissance que l'ensemble $E$ (Wohlordfiungssatz); et c'est précisément à cause de ce théorème que M. Zermelo a introduit son axiome du choix22. La même remarque s'applique à la démonstration des formules $$\mathfrak{m} = \mathfrak{m} + \mathfrak{m} = \mathfrak{m}\cdot\mathfrak{m}, \quad 2^{\mathfrak{m}} = \mathfrak{m}^{\mathfrak{m}}$$ pour tous les nombres cardinaux non finis $\mathfrak{m}$.23
Une question assez délicate qui se pose lorsqu'on considère une infinité de nombres cardinaux, mérite notre attention. Une suite infinie de nombres cardinaux $$\mathfrak{m}_1,\mathfrak{m}_2,\mathfrak{m}_3,\ldots$$ étant donnée, peut-on, sans être obligé de recourir à l'axiome de M. Zermelo, considérer comme existante une suite infinie d'ensembles $$M_1,M_2,M_3,\ldots$$ où la puissance de l'ensemble $M_n$ est $\mathfrak{m}_n$,pour $n = 1,2,3,\ldots$?
La réponse peut paraître douteuse puisqu'il existe toujours une infinité d'ensembles ayant le même nombre cardinal; or on peut se demander: peut-on définir un nombre cardinal $\mathfrak{m}$ autrement qu'en déterminant un ensemble de puissance $\mathfrak{m}$?